Une ferme, une fourche, un large ciel et, dans l’ombre des clichés, une silhouette masculine. Pourtant, sous ce vernis tenace, la terre française bruisse d’innombrables voix féminines. “Fermière” existe bel et bien, mais flotte encore à la marge, comme si la langue hésitait à accorder aux femmes le même droit de cité au cœur des champs.
Nommer celles qui cultivent, ce n’est pas seulement une question de vocabulaire. C’est faire surgir au grand jour le travail, la compétence et la ténacité de celles qui nourrissent le pays. Le féminin de “fermier” ne se limite pas à une histoire de grammaire : il donne à voir, à reconnaître, à compter celles que l’histoire a trop longtemps reléguées hors champ.
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Plan de l'article
Pourquoi le féminin de « fermier » suscite-t-il encore des questions ?
Dans les exploitations, femmes et hommes partagent les mêmes tâches, bravent les mêmes intempéries, mais la langue, elle, freine. Créer ou utiliser le féminin de “fermier” semble aller de soi. Pourtant, la réalité bouscule cette évidence. Derrière la résistance linguistique se cache tout un pan de l’agriculture française : une profession encore marquée par une répartition inégale des rôles, et une reconnaissance institutionnelle à géométrie variable.
En 2022, 29,5 % des exploitations agricoles portaient la signature d’une femme (source : MSA). L’INSEE, de son côté, annonçait en 2019 que 26 % des exploitations étaient dirigées par des cheffes. Des chiffres qui fissurent les stéréotypes, mais ne suffisent pas à bouleverser l’ordre établi. Dans les instances professionnelles, les femmes restent en retrait. Accéder au foncier, obtenir un statut stable ou une juste rémunération relève encore du parcours du combattant. L’égalité proclamée par la Constitution, sur le terrain, se heurte à la persistance d’une réalité bien plus rugueuse.
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Impossible d’ignorer leur rôle : les femmes façonnent l’agriculture française. Pourtant, obstacles et freins s’accumulent :
- Accès aux responsabilités souvent verrouillé dans les structures collectives
- Ecarts de statut et de salaire qui perdurent
- Reconnaissance du travail trop souvent absente
Interroger le féminin de “fermier”, c’est mettre le doigt sur une question de société. Les mentalités évoluent, mais l’imaginaire rural, lui, s’accroche à sa figure masculine. Pourtant, sur le terrain, les agricultrices s’imposent, revendiquent le mot “fermière” et réclament cette visibilité qui leur a longtemps manqué.
Le mot « fermière » : formation, usages et subtilités linguistiques
Du point de vue grammatical, la solution saute aux yeux : “fermière” découle naturellement de “fermier”. Mais la langue porte en elle l’histoire des rapports de force. Derrière ce mot, résonne la longue invisibilité des femmes dans l’agriculture. La règle de formation est simple : le suffixe “-ère” s’ajoute au masculin. Mais combien d’années a-t-il fallu pour que le statut de cheffe d’exploitation soit admis, puis reconnu ? La loi Roudy (1983) ouvre la porte à l’égalité professionnelle, mais la bataille symbolique autour du mot, elle, n’est pas encore gagnée.
“Fermière” recouvre aujourd’hui une mosaïque de réalités :
- Cheffe d’exploitation
- Salariée agricole
- Conjointe salariée, associée ou collaboratrice
- Retraitée agricole
Au fil des lois, les femmes ont arraché le droit d’exister professionnellement : co-exploitante (1980), conjointe collaboratrice (1999), droits sociaux et retraite agricole. Pourtant, dans les textes et les discours officiels, “fermière” reste discret, souvent remplacé par “exploitante”, “chef d’exploitation” ou “agricultrice”.
Mais la langue change. Les jeunes générations adoptent fièrement “femmes fermiers”, “femmes chefs d’exploitation”. Les chiffres de l’enseignement agricole le prouvent : 50 % de filles dans le technique, 61 % dans le supérieur. Affirmer “fermière”, c’est revendiquer une place, une identité, une histoire collective trop longtemps passée sous silence.
Visibilité des femmes dans l’agriculture : entre héritage et évolution
L’agriculture française se transforme sous l’impulsion féminine. Hier dans l’ombre, les femmes investissent aujourd’hui l’espace public, diversifient les filières, s’organisent en collectifs et en réseaux. La MSA l’atteste : 29,5 % des exploitations agricoles sont dirigées par une femme en 2022. Leur impact se fait sentir dans l’élevage équin (53 %), l’aviculture (34 %), mais reste limité dans la production porcine (22 %) ou les travaux agricoles (10 %).
Malgré cette progression, l’héritage social pèse : précarité, discriminations, accès au foncier compliqué. Plus diplômées que les hommes dans le supérieur agricole (61 % contre 39 %), les femmes s’installent à 31 ans en moyenne, souvent sur des structures plus modestes. 37 % des agricultrices viennent d’une reconversion, signe d’un renouvellement profond de la ruralité.
Les réseaux d’entraide féminins – Femmes Vignes Rhône, CIVAM, groupes MSA – prennent de l’ampleur. Ces collectifs offrent soutien, conseils, solidarité et facilitent l’installation. Les femmes innovent, s’installent plus souvent en solo, diversifient les activités : agritourisme, circuits courts, transformation. Le modèle agricole s’enrichit, devient plus souple, plus résilient.
- 81,9 % des salariées agricoles en CDD : la précarité s’installe jusque dans la retraite.
- Partout, des dispositifs d’accompagnement se mettent en place : numéro vert MSA, associations locales en Bretagne, dans l’Hérault, le Gard…
Formation, reconversion, entraide : la féminisation du secteur n’est pas un simple effet de mode, mais la preuve d’une ruralité qui s’invente, se renouvelle, se solidarise.
Valoriser le féminin dans les métiers agricoles, un enjeu pour demain
“Fermière”, c’est bien plus qu’un féminin. Ce mot porte le poids d’une reconnaissance et la promesse d’un avenir renouvelé. Les parcours s’entrelacent, les compétences s’affirment, l’innovation s’écrit au féminin dans les campagnes. 93 % des agricultrices citent la passion comme moteur, 96 % l’amour de la nature. Transmission, modernisation, circuits courts, transformation : autant de chantiers souvent initiés par des femmes.
Les agricultrices sont fréquemment à l’origine de la diversification, de la transition agroécologique, de la création de réseaux d’entraide, de groupes de défense, de dispositifs d’écoute. Ces démarches brisent la solitude, facilitent l’accès à la formation et à la santé au travail.
- 41 % des agricultrices évoquent la difficulté à concilier vie de famille et agriculture ; ce chiffre grimpe à 52 % chez les cheffes d’exploitation.
- Réseaux professionnels, groupes de parole, mentorat se multiplient, impulsés par les femmes elles-mêmes.
- La lutte contre les stéréotypes et la précarité s’intègre à la promotion de la mixité et de l’égalité professionnelle.
La féminisation des métiers agricoles ne se contente pas de changer les visages : elle insuffle un vent neuf dans la transmission, la modernisation et la définition du patrimoine rural. Accorder toute sa place au féminin, c’est bâtir des campagnes qui résistent, inventent et inspirent. Qui sait ? Demain, “fermière” pourrait bien devenir un symbole de renouveau pour toute l’agriculture française.